vendredi 20 avril 2007

Rester vivante.


Rester vivante
de Catherine Leblanc

Actes Sud Junior 2007
à partir de 13-14 ans


(Re-)vivre enfin

Nombre de lecteurs (jeunes et moins jeunes) se retrouveront certainement dans Jo, la narratrice créée par Catherine Leblanc, un personnage crédible, touchant, et qui surtout parvient à mettre en mots son mal-être, des mots qui lui permettent de mieux appréhender ses émotions contradictoires ; et ce, en dépit de la méfiance que le langage lui inspire d’ordinaire : « Parler n’empêche pas d’être seul, c’est une illusion de penser que les autres peuvent nous comprendre. » lance-t-elle un jour à son professeur de philosophie – une discipline qui d’abord l’intrigue, puis la déçoit en ce début d’année de terminale.
Comme beaucoup de narrateurs de romans miroirs, Jo a du mal à communiquer, en particulier avec ses parents, des êtres résignés au désenchantement ambiant, qui se disputent perpétuellement : la mère est intrusive et superficielle, pleine de fausse sollicitude, passant son temps à s'apitoyer sur son sort, le père reste indifférent à sa fille, lui imposant sa vulgarité depuis plusieurs années. La rage qui envahit par instants la jeune fille et la médiocrité des adultes qui l’entourent fait immanquablement repenser, entre autres, à Jeanne, l’adolescente de Mémoires d'une sale gosse de Cédric Erard.

Jo a parfois des envies de meurtre quand son père regarde des films pornos en pleine journée, et se surprend à espérer la mort de cet homme – une violence contenue, en tout cas préférable aux idées noires qu’elle ressasse à d’autres moments. Car Jo se définit comme « une erreur ambulante », bourrée de complexes qu’elle égrène dès les premières lignes (« Je suis laide. (…) Je suis maigre. (…) Je passe inaperçue. ( …) Mon cœur est plein de verre pilé. »), angoissée chronique, à un âge où tout est pourtant encore à vivre, en particulier l’amour et la sexualité. Et son seul projet, en étant si mal partie dans la vie, est tout simplement de «rester vivante », malgré la gêne qu’elle éprouve à se retrouver avec ses pairs, malgré le regard si sévère qu’elle porte sur elle-même et sur son corps, malgré le sentiment constant d’être à l’écart et qu’elle entretient comme pour parer à toute désillusion.

L’intrigue elle-même est simple : Jo a peu d’amis, hormis la très sage Laurence qui attend l’Amour (en apparence), mais grâce à Amina, si « solaire », elle rencontrera un garçon de passage, plus âgé qu’elle, qui l’initiera gentiment à l’amour physique, sans rien lui promettre. Une découverte qui la métamorphose radicalement et ravive ses espoirs ; et lorsqu’elle raccompagne ce garçon à la gare, le départ du train est annonciateur d’autres départs – le signe que la vie commence enfin pour Jo. Un dénouement en demi teinte, qui laisse présager de beaux jours en dépit de la tristesse de la séparation. Rester vivante est un roman d’apprentissage solide, bref mais intense, que l’on prend plaisir à lire d’une traite tant le désir de la découverte est grand – car malgré la situation très ordinaire de Jo, le roman échappe à nombre de clichés souvent inhérents au genre, et qui ici sont habilement détournés par l’auteure, en particulier grâce à une écriture exigeante, qui toujours fait mouche.

Blandine Longre
(avril 2007)

Blandine Longre, agrégée d’anglais, est l’une des fondatrices de Sitartmag ; rédactrice en chef depuis mai 1999, elle s’intéresse tout particulièrement aux écritures contemporaines (francophone, anglophone, asiatique, orientale etc.), à la littérature pour la jeunesse, au théâtre (texte et représentation) et aux relations qu’entretiennent fiction et réel.

Article sur Sitarmag.


3 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,

Je viens de refermer "Rester vivante". Je crois que j'en garderai pour longtemps les images et la poésie.

Merci pour ce texte.
Stéphane

Unknown a dit…

merci Stéphane !

Anonyme a dit…

C'est un roman très fort et très pur, très dur. Je crois aussi qu'il m'a retournée pour longtemps.
Et ça fait beaucoup de bien, d'être retourné...