Quel bonheur, et quelle fierté aussi, d’accueillir ici Catherine Leblanc et Thanh Portal, à l’occasion de la sortie de notre livre numérique « Un autre monde ». Une histoire d’oiseaux, de poissons et d’une tortue messagère qui va permettre aux uns et aux autres de se connaître, pour mieux se rencontrer.
Catherine, j’aime beaucoup le thème abordé dans votre livre, vous rappelez-vous comment l’idée vous en est venue et pourquoi avoir choisi ces protagonistes-là ?
L’histoire parle de la rencontre avec l’étranger, de la méfiance, l’incompréhension et du rejet que cela entraîne souvent. A l’époque actuelle, cela me préoccupe, mais à l’origine de ce texte, il y a aussi d’autres choses qui concernent le lien entre deux mondes. Un proche qui a des parents sourds m’a souvent dit qu’il faisait le lien entre le monde des sourds et celui des entendants. (Il y a bien d’autres mondes opposés, ceux qui ont fait des études et ceux qui n’en ont pas faites, les parisiens, les provinciaux etc.) Ils ont une représentation du monde complètement différente. Ils n’imaginent même pas ce que les autres peuvent vivre. Dans cette histoire, le poisson et l’oiseau ignorent complètement le monde de l’autre, puis ils commencent à soupçonner qu’il existe et qu’il y ait une dimension qu’ils ignorent. Grâce à la tortue, ils sortent du face à face hostile pour trouver un lien. Plus profondément, les autres ont une expérience que nous n’avons pas, même si l’on n’en a pas conscience, on a quelque chose à découvrir et à apprendre d’eux.
Vous écrivez et publiez beaucoup et dans le monde entier (ou presque) est-ce que votre métier d’écrivaine se nourrit de votre métier de psychologue ?
Bien sûr et réciproquement. La parole, le langage, le lien à l’autre sont au cœur de mes rencontres avec les enfants comme de mon travail d’écriture. Les enfants m’inspirent (les petits qui me parlaient beaucoup de leurs monstres et de leurs peurs ont inspiré toute ma série d’album « Comment ratatiner »). Et dans mon travail avec les enfants, les mots et les images créent un espace, un jeu possible, qui permet d’inventer et de remettre en mouvement ce qui restait bloqué.
Avez-vous des anecdotes professionnelles à nous raconter que vous auriez transformées en histoire(s) ?
Par exemple, un enfant métis qui m’avait dit « J’aime pas ma couleur », m’a donné envie d’écrire « Ma couleur » (chez Balivernes). Une petite fille en colère avait inspirée mon premier roman « Le problème avec les maths » (chez Actes Sud Junior). Ce sont souvent des bribes qui se recomposent, des paroles ou des émotions que j’inclus dans mes histoires, celle par exemple suggérée par un petit garçon qui a perdu son père et qui regarde une bille de verre, car alors dit-il, « il voit son père dedans qui lui fait signe ».
Thanh, lorsque nous nous sommes rencontrées l’année dernière à l’occasion de la création de l’ebook du collège de La Grange aux Belles, vous m’aviez soufflé votre désir d’illustrer un livre écrit par Catherine, dont vous êtes une grande admiratrice. Alors, heureuse ?
OUI, très très heureuse ! Mes enfants sont fans de la série « Comment ratatiner ».
J’aime surtout l’écriture poétique de Catherine que j’ai découverte à travers un livre que j’affectionne « L’envol » (Flammarion/Chan-Ok).
Depuis, grâce à « Un autre monde », j’ai aussi découvert derrière l’auteure quelqu’un de formidable et j’espère avoir d’autres occasions de partager un livre avec Catherine.
Parlez-nous de la façon dont vous avez appréhendé et illustré ce livre numérique. Avez-vous senti des différences par rapport aux livres papier, par exemple. Une façon de concevoir différente ? Pouvez-vous raconter aux lecteurs qui vous suivent votre process de création sur un livre de ce type ?
La première différence a été le format. Contrairement à un album « classique », où l’on réfléchit en terme de double page (en général 14), ici j’ai dû réfléchir en terme de tableaux. Notre livre comporte 28 tableaux, ce qui au départ m’a beaucoup perturbée, et chaque tableau peut en amener d’autres. Il fallait aussi réfléchir à ce qui pouvait bouger, être animé.
Personnellement je trouve que le livre numérique est à la frontière du livre papier et du dessin animé : c’est magique et ça bouge !
Heureusement, vous m’avez aidée et guidée.
Une fois le chemin de fer réalisé (le déroulé de l’histoire en petits croquis), j’ai d’abord conçu les décors à la gouache puis j’ai fait les personnages à l’encre de Chine. Je les ai ensuite colorisés en numérique.
Chaque élément a été scanné pour procéder à l’assemblage grâce à Photoshop. Cela m’a permis d’utiliser plusieurs fois certains éléments, de les agencer à ma guise tout en préparant le travail d’animation d’Ivan.
Au regard de vos préparations, vous attendiez-vous aux résultats d’animation qu’Ivan a obtenus ?
Ne sachant pas animer, je n’avais pas tout à fait conscience des possibilités qui m’étaient offertes. J’ai été très heureuse de découvrir le travail d’Ivan qui donne vie à ma propre création. J’étais comme une enfant à Noël !
Et vous Catherine, la découverte de votre livre a-t-elle répondu à vos attentes ? En aviez-vous d’ailleurs ?
Je n’en avais pas spécialement au départ, seulement de faire « vivre » un texte que j’ai réécrit plusieurs fois.
J’aime beaucoup les images de Thanh, ses couleurs et son graphisme. La tortue, le poisson et l’oiseau sont beaux et originaux.
Avec l’album numérique, j’ai découvert les mouvements, la voix et le son, et j’ai trouvé l’ensemble magnifique. Dès le début du livre, on découvre les vagues, leurs mouvements et leur scintillement. Le son retranscrit le côté calme et profond de la mer et le bruit des bulles donne le sentiment que la vie y est présente. La voix permet à l’enfant de se laisser bercer comme quand on lui raconte soi-même une histoire. Il peut également lire en même temps sur l’écran.
Chaque scène est réussie… mais allez voir !
Je vois bien sur les réseaux sociaux, combien auteurs et illustrateurs sont fiers de montrer à leurs fans les livres juste sortis de l’imprimerie que leurs éditeurs leur adressent ! Pas d’impression pour un livre numérique, pas de livraison surprise, pas d’odeur d’encre non plus… Est-ce que l’excitation est la même toutefois ?
Catherine : Oui, même en en connaissant les étapes essentielles, il y a la surprise du résultat final. Le travail de chacun a convergé vers un ensemble que l’on peut découvrir vraiment seulement à la fin.
Thanh : L’excitation est autre. Découvrir son travail en mouvement est vraiment magique !
Les auteurs et illustrateurs n’ont pas le même rapport avec le papier qu’avec le numérique. Qu’en pensez-vous vous-mêmes ?
Catherine : On ne peut pas toucher l’objet de la même façon, ni sentir l’odeur du papier. Il y a quelque chose de moins concret, mais de magique aussi quand l’image s’anime et le son résonne.
Thanh : Je pense qu’au départ cela peut être intimidant car nous sommes obligés de penser le livre différemment. Et puis en France, nous sommes tout simplement très attachés à l’objet livre.
Personnellement, je trouve que les possibilités offertes par le numérique sont une vraie chance. Il faut passer outre la peur de l’inconnu et se lancer. Pour nous aussi « un autre monde » existe !
Si vous aviez l’une et l’autre un souhait à formuler dans le cadre d’une autre édition avec La Souris Qui Raconte, quel serait-il ?
Catherine : Aller vers l’achat numérique ne va pas encore de soi. Pour faciliter le passage, pourrait-on parfois associer l’album numérique avec un album papier ? Les lecteurs passeraient d’un usage à l’autre, garderaient l’objet livre et apprécieraient la nouveauté de l’animation.
Thanh : J’ai adoré faire ce livre et aimerais beaucoup en faire d’autres. Si une prochaine fois se présente, je pense que je travaillerais plus main dans la main avec l’animateur afin d’exploiter au maximum les possibilités de l’animation dès le départ.
Un grand merci à toutes les deux. Vous avez souvent utilisé le mot « magique », un joli mot qui fait rêver ! Et bien vous avez été les fées de ce nouveau livre, et toute la magie qu’il contient, c’est à vous que nous la devons. Par ailleurs, je prends bonne note de vos deux souhaits. Evidemment je pense au papier, à l’impression à la demande par exemple, mais j’ai d’autres priorités (pour l’instant), comme celle de publier toujours plus de livres numériques…
Surtout, ne cessez jamais de nous émerveiller, en papier ou en numérique !
Surtout, ne cessez jamais de nous émerveiller, en papier ou en numérique !
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